Monsieur le Président,
Dans quelques jours, votre mandat de président du Groupe public ferroviaire débutera. Son entame se fera dans un contexte d’urgence sociale.
Les tensions sont extrêmement fortes. Elles sont le résultat d’une relation dégradée entre la direction et les cheminots, qui a engendré de profondes ruptures et une grande défiance.
La reconstruction passera nécessairement par un inventaire. Il n’y a pas de doutes sur le fait qu’il fera apparaître les effets délétères de la perte de proximité. L’embrasement de ces derniers jours en est la conséquence directe.
Cet inventaire mettra également en lumière les effets des incessantes réorganisations et du discours qui les accompagne. Leur cause et leur motif sont toujours les mêmes : l’urgence à réformer sans pour autant chercher à donner du sens ni prouver l’efficacité de ce qui est mis en place. Cela conduit à une perte de confiance dans l’entreprise.
L’exemple le plus criant de ces choix aux conséquences calamiteuses demeure la gestion par activités. Sous couvert d’hyperspécialisation et de conception en « business » propre à chaque activité, ce sont des pans entiers de mutualisation, de souplesse d’organisation, de création de compétences et plus généralement de vision du système qui se sont écroulés.
Depuis des mois, la CFDT Cheminots ne cesse d’interpeller direction et pouvoirs publics. La déconstruction des droits des salariés et des processus métier, les changements d’organisation permanents accompagnés d’une pression toujours accrue sur les effectifs, le dialogue social qui n’a encore produit aucune solution malgré les nombreuses propositions que la CFDT a formulées très régulièrement sont les ferments d’un « ras-le-bol » généralisé.
Monsieur Farandou, vous avez relevé ce sujet lors de vos auditions au parlement. Vous avez souligné le fait que vous êtes « un enfant du service public », un cheminot « première langue ». Vous savez l’attachement des cheminots à leurs métiers et le service qu’ils entendent rendre au public dans des conditions optimales de sécurité. Vous comprenez donc combien ces évolutions ont pu toucher négativement l’activité ferroviaire, la prise en charge et le service proposé aux voyageurs en affaiblissant les fondamentaux de la production ferroviaire pourtant tenus par les cheminots au quotidien.
L’accident survenu le 16 octobre dernier et le mouvement social qui s’en est suivi illustrent parfaitement les effets d’une remise en cause de ces fondamentaux que sont la sécurité et la sûreté des voyageurs. Les réponses formulées en réunion de concertation ne sont pas de nature à résoudre les problèmes.
En effet, à considérer la sécurité comme une stricte affaire de procédures, de probabilité et de récurrence, on en oublie totalement celles et ceux grâce auxquels la sécurité de tous est assurée au quotidien.
Face à cette situation, la CFDT a agi et proposé :
- la mise en place d’états généraux de la production sur la base de retour d’expérience et de partage avec les cheminots ;
- la mise en place de mesures conservatoires à effet immédiat tant que les sujets de sécurité, de sûreté et de production ne sont pas traités au fond, tant pour les circulations que pour les agents à bord et au sol.
La direction a balayé ces demandes de bon sens et de construction. C’est une décision lourde de conséquences dans un climat social déjà explosif.
Cela dénote une conception de la démocratie sociale et un fonctionnement de l’entreprise que nous ne partageons pas. La CFDT considère que le devenir collectif ne peut se résumer aux choix de « ceux qui pensent savoir » et décident de rester sourds aux expressions de ceux qui font.
Les propositions formulées par la CFDT s’appuient sur le réel et sur les remontées des agents qui réalisent le service au quotidien. La demande d’accompagnement des trains en EAS par un agent dûment formé et compétent s’inscrit dans une acception sociale largement partagée et qui va au-delà des cheminots : un sondage récent indiquait que 80 % des personnes interrogées réclament la présence d’au moins un contrôleur dans chaque TER. Le réel, toujours, guide la CFDT ! C’est sur cette base que nous avons déclenché l’opération Chono’Gares.
Il en ressort que les voyageurs veulent plus de guichets ouverts et vivent comme un véritable sentiment de relégation sociale les fermetures de gares.
Ils ont raison : comment justifier ces choix quand, par ailleurs, l’entreprise connaît une croissance de plus de 7 %, mais atrophie à ce point son réseau de distribution ? Les Français, qui ont connu dans certaines zones les disparitions successives de plusieurs services publics de proximité, restent très attachés à leur gare et au lien social qu’elle représente. Cette question est d’autant plus essentielle au moment où près d’un quart de nos concitoyens est frappé d’illectronisme. La mise en œuvre des solutions digitales doit intégrer ces réalités et ne peut se résumer à une marche forcée. La CFDT n’admet pas qu’une partie importante de nos concitoyens puisse être oubliée par ces transformations, au détriment du principe d’égal accès de tous aux services publics.
Monsieur le président, il est impératif que la crise que connaît la SNCF soit surmontée, dans le respect des voyageurs et des cheminots. Pour cela, il faut aller au fond des choses et apporter de manière urgente des réponses aux cheminots.
Pour cela, la CFDT vous demande :
- Le gel des réorganisations. L’évolution de l’entreprise est indispensable. Elle ne peut se faire que sur la base du dialogue, du partage des enjeux et du respect des femmes et des hommes. Tant que les conditions ne sont pas réunies, la stabilisation doit être prioritaire.
- La réhumanisation immédiate des trains et des gares – avec une attention particulière sur le TER et sur les circulations de trains AGC – pour assurer la sécurité et la sûreté des voyageurs comme des cheminots.
- Des mesures concrètes sur l’augmentation de la charge mentale des agents assumant des tâches de sécurité, qui portent seuls de plus en plus de responsabilités.
- La création d’instances de dialogue social de proximité qui regroupent, sur un territoire, toutes les structures du Groupe public et traitent les problématiques de la production et les conditions de travail quotidiennes des cheminots.
- L’accélération des prises de décisions de l’État concernant la sécurisation des PN.
- La garantie des parcours professionnels valorisants et justement rémunérés.
- La fin des postures polémiques de la direction et la mise en place d’un véritable discours d’apaisement.
- Une protection sociale de haut niveau, fondée sur un régime de base spécifique à la branche, un régime complémentaire ambitieux et une action sociale forte et mutualisée au niveau de la branche.
- L’extension à la branche des droits fondateurs du cadre social cheminot (facilités de circulation, logement, médecine de soins, etc.).
- La garantie de la pérennité des droits liés au système de retraite pour tous les cheminots au statut dans le cadre du régime fermé au 1er janvier 2020.
- La construction d’un système de retraite pour les salariés contractuels actuels et futurs prenant en charge au niveau de la branche la pénibilité des emplois et la spécificité des contraintes liées aux métiers du ferroviaire.
- Concernant Réseau : la reprise partielle de la dette et la contribution annuelle de trois milliards de l’État ne sont pas suffisantes pour ramener notre infrastructure à un état standard, capable de donner les perspectives de développement au transport ferroviaire, pourtant si nécessaire dans le cadre d’une transition écologique. La CFDT revendique un état des lieux de la politique de sous-traitance et d’externalisation, menée aux pas de charges avec des résultats respectant rarement les standards de qualité et de sécurité des travaux réalisés en maîtrise d’œuvre SNCF.
Les cheminots sont en attente de réponses immédiates et de perspectives claires. Une nouvelle donne sociale doit être construite et proposée aux cheminots dans les plus brefs délais, sous peine de voir la conflictualité s’embraser.
Monsieur le président, d’ici quelques jours, vous serez le premier des cheminots, vous avez le pouvoir et le devoir d’apaiser les cheminots dans cette période charnière que connaît la SNCF. Les cheminots ne sont pas opposés à l’évolution de leur entreprise, ils veulent en être les acteurs ! Cela implique de partager certains constats et de construire avec eux les solutions.
Si elle n’agit pas de la sorte, la SNCF risque non seulement de continuer à être malade de son malaise social, mais aussi de se priver d’une intelligence et d’une force collective qui sont les clés de sa réussite.
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